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Néouvielle 2000 - 20


Néouvielle 2000 - 20

3 mars 2000 00:00:43

Vendredi : Retour vers l'enfer !
La nuit a été bonne et pour certains, confortable (ceux qui avaient des matelas gonflables notamment).
Le thermomètre est resté autour de zéro dans l'igloo et, de fait, la voûte n'a pas goûté à l'intérieur.
Dehors, ça devait pincer ferme mais, nos igloo étant exposés au Nord-est, on s'est réveillé avec le lever de soleil et très vite, la température est devenue acceptable pour cette altitude (2720m).
Les couleurs de la montagne étaient vraiment formidables et la pointe de Chaussenque prenait des couleurs chaudes, chatoyantes et semblait nous inviter à grimper jusqu'à sa pointe.
Mais, la journée allait être longue et quelque peu éprouvante.
En effet, il s'agissait de descendre du bivouac sous Chaussenque pour rejoindre la pente sous la Hourquette d'Aubert, mettre les peaux une première fois, remonter un premier col, enlever les peaux et redescendre dans le vallon qui mène au col de Madamette.
Remettre les peaux et passer à un col à gauche du Pic Plat.
Renlever une seconde fois les peaux pour dévaler les pentes jusqu'au vallon qui descend du pic d'Aiguecluse vers L'Oule.
Remettre une troisième fois les peaux pour passer une épaule qui nous permettrait de redescendre sur un lac au dessus du refuge du Bastanet pour remettre une quatrième fois les peaux et gravir un col à gauche du Pic de Pichaley, puis l'arrête en rocher facile jusqu'au sommet. De là, il nous faudra redescendre sur les pistes d'Espiaube en espérant arriver avant la fermeture et trouver un pisteur compréhensif qui nous laisse utiliser une remontée. Sinon, c'est encore les peaux jusqu'au col du Portet avant de redescendre sur les voitures, le tout avec des sacs encore assez lourds (15 à 17 Kg) sans les skis et l'eau.
Au total, au moins 1300 m de déniv. avec beaucoup de faux plats et jamais plus de 300 m d'affilé.
Laurent et Xavier devaient conduire cette journée. Je leur avais proposé cet itinéraire un peu inspiré des montagnes russes.
Avant de quitter les igloo, Jean-Pierre (Herman) nous fait une démo avec son GPS puis, nous allons tester la résistance des igloo.
Debout sur la voûte, ils tiennent bon. Nous les abandonnons en espérant qu'ils ne serviront pas de chiottes aux randonneurs du week-end à venir.
La neige est très bonne (ceux qui n'ont pas de skis paraboliques la trouvent soufflée, croûteuse et irrégulière).
Pour ma part, j'ai dû avoir de la chance, je ne me suis aperçu de rien)..
On assiste à deux superbes chutes dont une qui aurait pu très mal se terminer pour Alain car sa tête a heurté la neige de plein fouet à quelques centimètres d'un rocher.

Les deux premiers cols de la journée sont avalés sans difficultés ni fatigue dans un univers de rève : neige légère, courbes douces, belle trace, ombres et lumières se combinant avec les variations de relief..... De quoi pleurer d'émotion !
Cet itinéraire, bien qu'un peu casse-jambes du fait de ses ruptures de rythme (jamais plus de 250 m de déniv. d'affilé) est vraiment superbe et très sauvage, le tout sur un terrain très sûr, même en conditions avalancheuses.
La descente sur le ruisseau d'Aiguecluse emprunte des pentes Nord-Est qui n'ont pas encore jamais vu le soleil.
La neige y est succulente et y enchaîner des petits virages de godille, bien serrés, bien réguliers est un plaisir que l'on est pas prêt d'oublier (même avec des fixations déréglées).
Nous voilà enfin à un point d'eau où nous remplissons les gourdes.
Quelques minutes plus tard, nous repartons vers notre troisième col de la journée mais, cette fois ci les pentes sont exposées au sud et la neige s'est fortement humidifiée en surface alors qu'elle est restée froide à 10 cm de profondeur.
Prévoyant le coup, je mets un peu de silicone sur les peaux sous le regard incrédule de quelques uns.
D'énormes sabots de neige ne vont pas tarder à se former sous leurs peaux, chacun pesant plusieurs kilos et défonçant la piste à chaque pas. Herman et Nicolas dont les peaux laissent apparaître la trame, seront particulièrement gâtés.
Pour ceux qui ont pris le soin de se siliconer, pas de problèmes.
Malheureusement, le silicone est inactif sur une peau déjà mouillée. Il ne reste plus que la paraffine que l'on peut appliquer en frottant une bougie sur les peaux.
Cette recette a une relative efficacité mais Jean pierre va bien traîner 3 ou 4 kg de sabot jusqu'au Pichaley.
Le soleil est aussi très sévère pour le cuir chevelu et Alain qui n'a pas de casquette doit retracer pour passer à l'ombre des arbres et faire les pauses bien à l'abri des rayons.
La montée au col du Pichaley sera douloureuse notamment pour Jean-Pierre à cause de ses sabots mais aussi pour Pierre (le guide) qui se paie une hypoglycémie 50 m sous le col.
C'est la panne sèche. Au col, une fois restauré, il avouera avoir vu des étoiles et pourtant, la nuit était encore bien loin.
Dernière véritable épreuve du stage : arpenter la crête dénudée, soufflée par le vent qui va du col jusqu'au Pic de Pichaley et pour la première fois de la semaine, je passe devant, les skis sur le sac.
Ah ! ça fait du bien d'être devant, de montrer la voie, de tracer dans la neige glacée de bonnes marches qui, on l'espère serviront à tout le groupe, de décoder la pente pour y trouver le meilleur cheminement, le plus confortable, le plus sûr aussi.
Je me retrouve rapidement au sommet suivi de peu par Alain puis Laurent, mais après, les écarts se creusent et la fatigue cumulée de la semaine se fait sentir.
Jean Pierre (Herman) arrive au bord de l'asphyxie et Pierre s'est retardé pour récupéré de son hypoglycémie.
La vue du sommet est superbe sur 180 ° mais, à nos pieds, la station et sa foule se manifeste.
Il ne s'agit encore que de quelques fourmis qui grondent.
Dans quelques instants, ce sera une foule anonyme ignorant tout du calme et de l'harmonie qu'elle perturbe et que nous avons traversé au cours de ces trois journées.
Notre arrivée au téléski est d'ailleurs marquée par un certain malaise qui nous parcours tous : que de monde ! que de bruit !
Les skieurs nous dévisagent et détaillent du regard notre équipement lourd et encombrant, nos visages amaigris et mal rasés. D'un côté comme de l'autre, on se pose la même question : "Qu'est ce qu'il fait, qu'est ce qu'il a, qui c'est celui-là ?
Complètement gaga ce type là ! ..." (© Pierre Vassilu).
Mais, une vision d'horreur nous attendait encore sur la piste noire de Terranère qui nous permet de rejoindre les voitures.
En effet, l'heure de la fermeture des pistes approchait et, tel un troupeau quittant l'estive pour se rendre à l'étable, tout le monde se retrouve en même temps sur la même piste.
Il y a du monde partout ! Des fous déguisés en débiles gavés de bande dessinée américaine qui dévalent les pentes avec des patinettes sans contrôler grand chose, des gosses de 5-6 ans entraînés par leurs grands frères sur cette piste manifestement trop dures pour eux, des débutants errant au milieu du mur et qui scrutent le ciel à la recherche d'un hélicoptère salvateur, des compétiteurs qui répètent leur prochain slalom et des montagnards (nous), piolets et crampons bien prééminents qui, pris dans cette folie ambiante, se lâchent quelque peu en se disant qu'il faut au plus vite traverser cet enfer.
C'est vrai, j'ai attaqué comme un malade, j'ai essayé de m'extirper de cette marée humaine, j'ai aussi essayé de rester lucide et de conserver une marge de sécurité pour éviter, sous mes spatules, une embardée imprévue d'un enfant en perte de contrôle.
Mais vraiment, que cette folie est contagieuse ! Que les mouvements de foule sont dangereux et qu'il est dur d'y garder son calme et sa sérénité !
Heureusement, il n'y a eu aucun accident et c'est bien la preuve irréfutable de l'existence de Dieu !
Quel contraste également avec l'ambiance de notre descente nocturne sur ces mêmes pistes
18 jours avant, lors de notre retour du Néouvielle.
Nous avions rejoint le col du Portet, la nuit tombante.
Le temps de ranger nos peaux et de grignoter, le noir nous avait envahi.
Nous nous étions élancé avec nos frontales sur ces pistes damées, silencieuses, apaisées.
Et quel spectacle.
Les 11 lucioles du groupe valsaient dans la nuit et semblaient former une chorégraphie presque parfaite, calme et voulptueuse.
Tout le contraire de cette descente en enfer aux allures de débandade à l'entrée d'un hypermarché un jour de solde à 90 % !.
Une fois à la voiture, Pierre, qui a dû vivre quelques situations limites nous avoue n'avoir plus eu aussi peur depuis plusieurs années.
Vite, en voiture et gardons en mémoires ces trois journées extraordinaires.

 

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